par Sandie V. et Myriam R., étudiantes et militantes socialistes des Lilas
La méthode du gouvernement est désormais rituelle : s'emparer d'un thème souvent cher à l'opposition et lui faire subir quelques transformations. La réforme des lycées en a fait les frais. Il s'agirait de lutter contre l'échec scolaire. Ce vernis méritocratique a réussi à rendre perplexes personnels de l'éducation et fédérations de parents d'élèves. Mais les objectifs véritables de la réforme commencent à percer sous le vernis : suppressions de postes et dégradation du statut des fonctionnaires de l'éducation nationale.
Le tronc commun et l'accompagnement scolaire
Le tronc commun est un des instruments de la réforme. Refondant les trois séries, S, ES et L, en une seule, la réforme Châtel met fin au projet éducatif de chacune de ces sections.
L'année de seconde serait une année de détermination au cours de laquelle 60% des enseignements appartiendraient à un tronc commun (français, mathématiques, histoire-géographie, 2 langues et sport) tandis que 40% des enseignements seront choisis sous forme d'options.
En première, seuls 45% des enseignements feront partie du tronc commun. Mathématiques et histoire géographie ne feront plus partie des enseignements fondamentaux. Bagage indispensable du bachelier, ces deux disciplines deviennent des spécialités. Pour autant, le nombre d'heures de mathématiques n'augmentera pas en Terminale S. Pour l'ensemble des enseignements, le volume horaire sera revu à la baisse. Pour la seule seconde, les élèves perdent deux heures de cours disciplinaires.
D'autres enseignements sont également sévèrement atteints. L'enseignement de sciences économiques et sociales deviendra un cours d'économie appliquée et de gestion. Concernant la philosophie, le dédoublement de la troisième heure d'enseignement est supprimé.
2h d'accompagnement sont censées remplacées les heures d'enseignement supprimées. Or, ce vaste fourre-tout rassemblant des cours de méthode et d'apprentissage de l'autonomie (n'est-ce pas déjà l'objectif de tout enseignement quelle que soit la matière enseignée ?) est surtout un moyen de rassurer les familles plus que d'assurer un enseignement de qualité.
Former de futurs salariés plutôt qu'éduquer de futurs citoyens
Toutes ces disciplines rendues optionnelles (sociologie, histoire, philosophie…) ont en commun d'ouvrir les élèves au débat, de les amener à se saisir des enjeux contemporains, à construire et développer le sens critique.
Or, le lycée de Sarkozy n'a pour seul objectif que d'être un tremplin vers l'entreprise. Face à cette nouvelle « offre », quels élèves utiliseront le dispositif pour affiner leur orientation et se créer des profils susceptibles d'attirer les grandes écoles et les formations élitistes ? Certainement pas les élèves les plus en difficulté qui se verront écartés des filières les plus prestigieuses - encore d'avantage que dans le système actuel.
Rentabiliser l'école mais à quel prix ?
Cette réforme est le fruit d'une réflexion gestionnaire soucieuse de réaliser des économies dans l'éducation nationale au détriment de son ambition éducative. Le tronc commun constitue en effet un moyen d'éviter le redoublement par un système de passerelles. Le calcul est simple, moins de redoublements = diminution des coûts. Si un élève faible en première S souhaite passer en ES il pourra, en une semaine (par exemple pendant les vacances), rattraper son retard, comme si ce délai était suffisant pour intégrer le programme de plusieurs disciplines. De plus, le décloisonnement des filières annonce des regroupements d'effectifs permettant d'économiser des moyens-horaires tout en rendant les classes plus nombreuses et plus difficiles à gérer au quotidien. C'est la formule gagnante pour un lycée rentable !
L'objectif (mal) caché de cette réforme est une nouvelle fois la suppression de postes à venir, environ 16 000 au budget 2010.
Un nouveau statut : le flexi-prof jetable !
C'est aussi bel et bien une remise en cause complète du statut d'enseignant que la réforme Châtel entérine. La réforme du concours d'enseignant met fin à la formation en alternance garante du métier d'enseignant lui-même. Les cadrages nationaux se font de plus en plus ténus.
Le ministère va recourir de plus en plus à des salariés non titulaires moins chers mais plus précaire - pour assurer les remplacements non pourvus. Les étudiants-stagiaires pourront assurer jusqu'à 108 heures de cours dans l'année tout en préparant le master et le concours. Ils constitueront alors une réserve de l'éducation nationale tout comme les vacataires.
Si la réforme revoit le nombre de postes à la baisse, elle n'oublie pas d'alourdir les missions des enseignants en leur assignant des tâches qui n'ont rien à voir avec leurs fonctions initiales. Les professeurs principaux seront chargés d'accompagner l'orientation de leurs élèves, venant peu à peu se substituer aux CO-Psy dont cette réforme marque la fin prochaine. Comment, alors qu'ils n'ont pas la formation requise et doivent peu à peu assumer quantité de tâches administratives, pourront-ils mener à bien ces missions d'orientation ?
Les pleins pouvoirs attribués au chef d'établissement
Jusqu'a présent le rôle du chef d'établissement était de veiller au bon fonctionnement des locaux (designer les professeurs principaux pour les classes, établir un diagnostic de l'établissement...) Ces fonctions – avant tout administratives – n'interféraient pas directement dans le travail des enseignants, ce qui permettait de respecter leur liberté pédagogique.
Les nouvelles fonctions du chef d'établissement peuvent se révéler très préjudiciables pour les enseignants et pour les élèves.
Alors que jusqu'a présent tous les enseignants étaient placés sur un pied d'égalité, désormais une hiérarchie est instaurée entre eux. Désormais, le chef d'établissement désignera l'équipe pédagogique de son choix. Cette équipe devient la garde prétorienne pédagogique de l'établissement scolaire. Or, ce qui peut apparaître indispensable dans le secteur privé (détermination d'objectifs, conduite des équipes etc) relève d'une conception erronée du métier d'enseignant et de la formation des élèves. Ces derniers ne sont-ils que des produits manufacturés ?
De plus, cette équipe – qui tient lieu avant tout de conseil – ne sera que consultative et le chef d'établissement tranchera seul sur un grand nombre de questions, en particulier les questions pédagogiques pour lesquels sa formation de gestionnaire administratif n'est pas adaptée. Le chef d'établissement est-il habilité à décider, limiter ou orienter les contenus pédagogiques des cours sans n'avoir jamais enseigné ?
Mise en concurrence des enseignants… et des établissements.
La répartition des heures disciplinaires, l'attribution de notes, des heures supplémentaires, d'accès au matériel, etc, seront une panoplie efficace – sans qu'aucune voie de recours ou d'arbitrage ne soit mise en place en contrepartie – pour renvoyer dos à dos des enseignants censés former une équipe pédagogique.
Le quart du volume horaire dont les établissements disposeront sera affecté au projet d'établissement. Or, comment, avec un projet qui échappe totalement à tout cadrage national et dépendant uniquement du choix et décision du chef d'établissement, ne pas aboutir à la mise en concurrence des établissements ?
Des inégalités non négligeables apparaîtront entre les différents lycées. Dès lors, une éducation à deux vitesses ne peut qu'être instaurée.
- une éducation pour les élèves de milieu favorisé et une pour ceux qui ont plus de difficultés
- des lycées qui ont les moyens de proposer des projets, options et matières variées (sous l'impulsion des chefs d'établissement) et les autres lycées.
Il s'agit bien d'imposer une réorganisation profonde du second degré qui instaure un système de lycée privé à l'anglo-saxonne.
Cette conception de l'enseignement qui vise avant tout à produire une éducation prétendument individualisée et rentable n'existe que pour répondre aux attentes des entreprises et du marché du travail. La constitution d'une culture, d'un esprit d'analyse et citoyen fondés sur les valeurs de la République semble désormais superflue.