par Emmanuel Leroueil, étudiant et militant socialiste des Lilas
C'est la réforme de trop. Celle qui soulève incompréhension et contestations, tous bords politiques et toutes catégories de la population confondus. Le mouvement de réformes des collectivités territoriales pourrait bien se retourner contre ses auteurs, le président Sarkozy et le gouvernement Fillon, tant la ficelle du calcul politique est grosse derrière l'apparent souci d'« efficacité » et de « modernisation ».
Récapitulons : Dès le début de son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy met en œuvre son grand projet de campagne, le "dégraissement de la fonction publique" qui, sous couvert d'« efficience », dissimule mal des réflexes idéologiques de droite comme le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, quel que soit son secteur d'activité, y compris dans des domaines comme l'éducation où le manque de personnel se fait cruellement sentir. Arrivé à mi-mandat et après toute une série de politiques partisanes du même genre (bouclier fiscal) qui voient le désengagement progressif de l'Etat-providence et de ses mécanismes de solidarité, il est officiellement déclaré que l'administration décentralisée ne saurait échapper au mouvement de « modernisation » de la sphère publique. Les conclusions du rapport Balladur de mars 2009 marquent le début du processus. Dès lors, Nicolas Sarkozy charge le gouvernement Fillon de remodeler en profondeur le statut, les prérogatives et le champ d'action des collectivités territoriales. La salve des hostilités est portée en trois temps.
Tout d'abord, le gouvernement s'attèle au redécoupage des circonscriptions législatives, dont le projet de loi est voté le 20 octobre, supprimant 33 circonscriptions (majoritairement de gauche) remplacées par 33 autres (dont beaucoup concernent les Français établis à l'étranger), remaniant au passage de nombreuses autres circonscriptions, dans des conditions où la partialité politique du gouvernement a été vigoureusement dénoncée par le PS, notamment en Seine-Saint-Denis. Bien que ne concernant pas formellement des collectivités territoriales, il est difficile de dissocier cette réforme des deux autres qu'elle précède, à savoir la réforme de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités territoriale proprement dite. La finalité politicienne est la même : renforcer le pouvoir de l'UMP et du gouvernement central, affaiblir celui de la gauche et de la démocratie locale. On retrouve là la stratégie sarkozyste du passage en force et en vitesse, accompagné d'un discours médiatique cherchant à préparer l'opinion, aidé en cela par les médias relais. Ainsi, Le Point du 29 octobre titre « les folles dépenses de vos élus », où il présente ces derniers comme de dispendieux mégalomanes, à la tête d'un « mille-feuille » administratif incohérent, inefficace, qu'il serait urgent de réformer.
C'est pourtant là méconnaître une réalité tout autre. Les administrations publiques locales effectuent 21% de la dépense publique (200 milliards d'euros) pour seulement 11% de la dette publique. Les collectivités territoriales, que l'on se plait à désigner comme les mauvais élèves de la sphère publique, en sont tout au contraire les acteurs les plus exemplaires. Car dans ces 21% de la dépense publique figure 73% de l'investissement public, ce qui revient à dire que l'avenir économique et social du pays est porté à bout de bras par les collectivités territoriales, et non pas par l'Etat, qui se décharge depuis quelques années de ses fonctions d'aides sociales sur elles.
Dans ces conditions, présenter les réformes en cours comme la troisième étape du mouvement de décentralisation, lancé par le PS en France en 1982, relève du mensonge. L'autonomie financière, la marge de manœuvre gestionnaire et le statut indépendant des collectivités territoriales sont gravement menacés. L'enjeu n'est pas le statu quo pour le statu quo ; les collectivités territoriales peuvent encore gagner en efficacité au service des citoyens. Mais au regard du remède proposé, il semble que la finalité des réformes en cours n'est pas d'améliorer l'action des administrations décentralisées, mais de poursuivre deux autres objectifs : recentraliser l'intervention publique entre les seules mains de l'Etat, en vassalisant les pouvoirs délocalisés au rang de caisses de paiement et de gestion courante ; asseoir la suprématie de l'UMP sur le paysage politique français, en enlevant à la gauche le cœur de son système : la démocratie de proximité.
Face à l'enjeu du processus de réforme en cours, et dans le cadre de la mobilisation contre ce hold-up annoncé, nous nous proposons de présenter une série d'articles énonçant le contenu des réformes, leurs conséquences concrètes et les alternatives qui viseraient à un renforcement réel de la démocratie locale.
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